Qu’est ce qui pousse des personnes sensées à voyager en side-car ? Évidemment, la réponse est multiple ! Parce que chacun a ses raisons, nous donnons la parole à ces baroudeurs à 3 roues dans une série d’interviews.
Aujourd’hui, nous te présentons Jean-Pierre et Nathalie, un couple d’uralistes doublé de BMistes qui a connu deux faux-départs pour son grand voyage. Autant te dire qu’ils savent rebondir. Après 16 000 km et 3 mois de voyage en Asie en couple, ils nous racontent tout ça. Bonne lecture !
Salut JP et Nathalie ! L’été dernier, vous êtes partis pour 3 mois de voyage, en side-car en couple. Pouvez-vous vous présenter rapidement, puis expliquer le but de ce road-trip ?
Effectivement, après deux tentatives ratées en 2020 et 2021, je suis parti en Juin 2022 pour trois mois sur les routes de la soie au départ de Sallanches en Haute-Savoie avec ma compagne Nathalie. Ce voyage a pris naissance lors de mes 60 ans en 2017 avec des amis et quelques souvenirs de voyage au long cours.
Après avoir lu les livres de Bernard Ollivier (marcheur comme moi) qui a fait, lui, toute la route de la soie à pied depuis Istanbul jusqu’à Xi’an en Chine, j’ai décidé de partir non pas à pied mais en side-car. A l’origine, nous devions aller jusqu’à Xi’an par les anciennes routes de la soie mais une réglementation chinoise et la Guerre Russo-Ukrainienne ont chamboulé par deux fois notre projet.
La première modification a été imposée par une loi chinoise interdisant aux personnes de plus de 60 ans de conduire des voitures ou des motos. Nous avons donc redéfini une boucle de Sallanches jusqu’à Almaty au Kazakhstan, située aux frontières de la Chine, en passant par Samarcande en Ouzbékistan, avant de revenir par la Russie via Irbit (Fief de l’URAL) car je devais faire ce voyage en Ural Tourist 1WD. Puis la Guerre Russo-Ukrainienne a modifié une seconde fois notre projet en un aller-retour uniquement jusqu’à Almaty via Samarcande et l’Iran !
Pouvez-vous nous raconter votre itinéraire ?
10 juin départ seul de Sallanches, direction Istanbul via les Balkans (Croatie, Serbie, Bulgarie). 12 jours après, j’étais à Istanbul et découvrais les premiers contacts avec l’orient. J’ai ensuite poursuivi pendant 11 jours jusqu’à Téhéran, via les hauts plateaux d’Anatolie centrale et la frontière de Bazargan, proche de l’Arménie. Il a fallu 8 heures pour passer la frontière de Bazargan, malgré la conformité totale des documents nécessaires et l’assistance d’un interlocuteur local mandaté avant mon départ. Mais l’Iran c’est ça ! Le temps n’a pas la même valeur qu’en Europe.
Après avoir récupéré Nathalie, ma compagne, à Téhéran, nous avons visité l’Iran en descendant à Ispahan via Qom et Kashan avant de poursuivre jusqu’ à Yazd (notre point le plus au sud) pour goûter le charme des villes du désert. Puis nous sommes remontés vers l’Est à travers le désert de Dacht-e-Kavir avant d’atteindre Mashhad proche de la frontière avec le Turkménistan.
Et une nouvelle fois nous avons dû modifier notre projet car la frontière avec le Turkménistan était toujours fermée (pour cause COVID et fermeture du pays aux occidentaux). Malgré plusieurs tentatives auprès du consulat Turkmène à Mashhad, nous avons dû nous résoudre à faire demi-tour et écourter notre trajet initial en remontant par la mer Caspienne pour longer l’Azerbaïdjan, avant de revenir par le sud de la Turquie (frontière de Sero) proche de l’Irak.
Une fois en Turquie visite de la région Kurde avant de découvrir la Cappadoce, les bords de la Mer Noire, puis de retourner en Europe via la Grèce et le sud de l’Italie.
Le premier départ a été mouvementé. Après l’avoir décalé suite au Covid, il t’est arrivé un gros pépin en Ural. Peux-tu nous en dire plus ?
Et oui la vie sur la route réserve des surprises ! Parti en juin 2021 avec mon Ural, j’ai eu un accident à 40km/h dès le deuxième jour alors que que je sortais de la ville de Bergame (Italie). Glissade sur une plaque d’eau huileuse, avec percussion d’une C4 arrivant en face avec tonneau par-dessus la voiture . Résultat de l’exploit : double luxation au coude gauche et arrachement de tous les ligaments de l’épaule droite suivi de 3 mois de rééducation. Le side-car ? Totalement HS : bon pour l’épave après le diagnostic expert de Dan (Est Motorcycle à Manzat). Après la convalescence, il me fallait décider du choix d’un nouveau side-car pour repartir car il n’était pas question pour moi de rester sur un échec et de renoncer à mon rêve. Comme j’avais une R1200R, j’ai décidé d’y atteler un panier ZERO de Dedôme.
Bon an, mal an, tu as donc remis le pied à l’étrier avec un nouveau sidecar. D’ailleurs, comment en es-tu arrivé au trois-pattes ?
C’est une longue histoire ! J’ai acquis mon premier side-car en 1977 après avoir fait les éléphants en 1976 avec ma BMW de l’époque , une R60/5. Nathalie, ma compagne, qui m’a rejoint à Téhéran est également une side-cariste depuis les années 90. Le sidecar est un véhicule extraordinaire ! Tous les inconvénients de la voiture et de la moto, mais qu’est ce que l’on s’amuse avec ! Et puis c’est un formidable vecteur de contact et de partage surtout dans les pays que nous avons visités ! Enfin pour les voyages au long cours dans les pays hors d’Europe c’est un confort supplémentaire et une sécurité accrue (on roule moins vite et les trous souvent vicieux sont moins lourds de conséquence).
À priori, ce modèle de panier Zéro, n’est pas l’idéal pour voyager. Pouvez-vous nous en dire plus sur ton side-car et les adaptations apportées pour ce voyage ?
Mon choix s’est porté sur le panier Zéro pour deux raisons majeures. Premièrement le style très dépouillé me plaisait bien. Ensuite la structure métallique sans quasiment de carrosserie polyester limite les risques de casse (chocs et vibrations dues aux routes parfois limites) et autorise beaucoup d’adaptation pour les bagages. Monté par Dedôme à Langres, Pierre-Jean Dedôme fait du très beau travail soigné et solide.
Je n’ai rien modifié sur le châssis (side et moto) mais seulement installé des coffres et sacoches réalisés par mes soins. Pour le reste une bonne révision de la moto, quelques outils de dépannage, un train de pneus et 6 litres d’huile (pour les vidanges) et nous sommes partis !
C’est effectivement un peu plus sportif pour la passagère qu’avec un autre side-car. Mais le confort du siège (changé avant le départ) et les ceintures harnais ont compensé le manque de carrosserie et d’aménagements de confort. Il n’en reste pas moins vrai que tous les agréments et désagréments de la route sont vécus en direct et sans filtre. Ça reste très sportif et il faut aimer !
Sur quel type de route avez-vous roulé ? Route, tout-terrain ?
Compte tenu de la nature du side-car (moto et panier), nous n’avons pris que des routes goudronnées. Nous avons quand même pu aller partout où nous le voulions.Après tous ces kilomètres, quelles sont les adaptations dont vous êtes contents et celles que vous changeriez ?
Avant de partir, j’ai changé le siège du panier pour y mettre un siège voiture, ce qui a ravi ma passagère ! Elle n’a pas trop souffert de la route malgré les 10 000 km et les revêtements parfois bien délicats. Les ceintures de sécurité (harnais) sont indispensables pour être bien calé d’autant plus que le manque de carrosserie ne permet pas de pouvoir se tenir et de poser les coudes.
L’amortisseur de direction installé par Dedôme rend la conduite reposante même avec des trajets de 8h et des routes difficiles. Au retour, j’ai rehaussé de 100mm le carénage avant pour pouvoir avancer le cale-pied et gagner ainsi de la place (confort). Le coffre que j’ai rajouté à l’arrière du panier est un peu petit mais je le garde comme cela car en fait on emmène toujours beaucoup trop de choses !
Ainsi, pendant le voyage nous nous sommes délestés de 8 kg de vêtements pour notre plus grand confort. Et le fait de pouvoir poser des sacs au-dessus du coffre a été un vrai plus.
Pouvez-vous nous décrire des moments marquants liés au side-car (itinéraires, anecdotes..) ?
Les rencontres ! Le side est vraiment un moyen de rompre la glace plus facilement dès que l’on arrive en Orient. Les gens étaient intrigués et friands de voir l’engin même s’ils ont des véhicules similaires mais le fait de venir d’Europe en sidecar les fascinait. L’Iran est vraiment un pays fabuleux avec des populations très accueillantes et une générosité incroyable. Même si les paysages ne sont pas aussi frappants que dans d’autres régions désertiques (Sahara), la qualité des relations et l’ouverture d’esprit des gens sont extraordinaires. Autant le pouvoir iranien peut être odieux, autant les populations sont admirables !
Un jour alors que nous cherchions un hôtel, un couple nous a abordé pour connaître notre problème. Immédiatement, ils nous ont proposé de discuter chez eux. Accueillis dans leur maison, ils nous ont offert à manger et après moult discussions nous sommes allés voir la famille avant d’être invités à dîner avec elle. Le dîner terminé, ils nous ont offert de dormir chez eux ce que nous avons décliné un peu gênés. Alors, ils nous ont trouvé un hôtel, nous y ont conduits (à minuit) et nous ont salués avec beaucoup d’émotion. Le lendemain matin, l’hôtelier nous a informés qu’il devait nous conduire au poste de police pour vérifier notre identité et l’objet de notre visite. Voilà le contraste permanent de l’Iran entre le pouvoir et la population. La visibilité du side ZERO a fait le reste. Nous ne sommes jamais passé inaperçus !
Quelles difficultés avez-vous rencontrées lors de ce voyage ?
D’un point de vue humain, passer trois mois sur un side-car avec des conditions de fatigue, de chaleur et d’étrangeté parfois délicates, n’est pas toujours facile à bien vivre. Il est indispensable de partager simplement les choses et tout trouve une issue positive. La pratique de l’inconnu et de l’imprévu amène à relativiser et à prendre du recul pour mieux se concentrer sur les choses graves lorsqu’il y en a. Mais finalement il y en a très peu ! Par contre, il faut toujours avoir en tête que nous sommes étrangers dans le pays que l’on visite. Personne ne nous y attend et nous sommes perçus comme privilégiés voire nantis. Il faut rester discret et toujours observer avant de juger.
Pour la partie mécanique et matériel, les soucis de freinage, d’embrayage et d’allumage rencontrés ont eu des impacts bien différents sur notre capacité à bien profiter de notre voyage.
Les problèmes de plaquettes de frein par exemple, issus de mon manque d’anticipation avant et pendant le voyage ont eu le mérite de nous faire découvrir une ville (Van) et des personnes très agréables. L’immobilisation de quelques jours nous a permis, au-delà du plaisir de visiter, de rencontrer des personnes intéressantes et de partager de très bons moments. Par contre, il aurait été très compliqué de faire ce dépannage en Iran du fait de l’embargo imposé par les USA, et des difficultés d’approvisionnement des pièces détachées étrangères, même pour des plaquettes de frein.
Les problèmes d’embrayage et d’allumage, plus compliqués, m’ont un peu angoissé avant de connaître précisément leurs ampleurs. Malgré le dévouement et la compétence réelle des personnes rencontrées, la spécificité BMW (conception et outillage) ne permet pas d’avoir une aide efficace des gens sur place. Il faut vraiment avoir un engin BMW en très bon état avant de partir car sinon dès la sortie d’Europe toute réparation peut devenir compliquée même si le savoir-faire des locaux est particulièrement bon.
Qu’avez-vous emporté dans vos sacs ? (Matos indispensable ou courant, chose inutile après coup)
Côté vêtements : beaucoup trop car on trouve tout et pas cher sur place. On peut aussi faire laver très facilement ! D’ailleurs, à Ispahan nous avons renvoyé plus de 8 kg de vêtements inutiles.
Coté matériel : il est indispensable d’emporter tous les composants d’usure du constructeur car il peut-être très difficile des les trouver sur place et de les importer (notamment en Iran où il n’y a quasiment aucune moto étrangère, hors chinoise. Même les Benelli, Honda et autres marques sont fabriquées en chine avec des versions chinoises). Un autre exemple ? En Turquie, il n’y a qu’un seul concessionnaire BMW à Istanbul.
Pas besoin d’emmener un atelier complet de réparation, juste un minimum d’outillage (tournevis, clés à cliquet, pinces). Sur place, on trouve tout et les gens sont suffisamment ingénieux pour tout dépanner. La seule chose qui manquera ce sont les pièces « constructeur » et pour BMW c’est critique. De plus, nous ne sommes jamais restés longtemps seuls, même dans des coins un peu perdus (mais nous n’avons jamais roulé sur des chemins). Il est bon d’avoir du fil de fer, du scotch résistant, une frontale et un petit aimant. Il faut également être autosuffisant pour dormir (tente, matelas et duvets), boire (une outre de 10 litres min toujours pleine), manger (produits secs) et se chauffer (briquet et petit bois) au moins pendant 2 jours pleins, même si on prévoit de dormir à l’hôtel (la panne ne prévient pas toujours)
Le side-car est un véhicule atypique. Est-ce-que ça a déclenché des rencontres ou des moments particuliers ?
Oui et c’est vraiment extraordinaire ! Même avec les forces de police, c’est plus facile ! En Iran, les gens étaient prêts à vraiment nous aider pour tout. Mais avant, il fallait faire des selfies avec le sidecar ! Les premiers échanges étaient beaucoup plus rapides et enthousiastes. Vraiment, le side est un passeport génial pour engager la communication.
Êtes-vous plutôt nuit en bivouac en pleine nature ou chambre confortable à l’hôtel ?
Nous avions prévu de dormir en hôtels, gîtes ou auberges de jeunes. C’est très bien et pas cher. Hors grandes villes et capitales, il faut compter entre 20 et 40€ /nuit pour 2 personnes dans de très bons hôtels. Dans les villages, cela peut être plus spartiate ! Dans les capitales ou grandes villes, il faut prévoir les prix Europe –10% à -20% et pour manger, il faut compter entre 3€ et 10€ suivant les villes . Attention : partout, il faut boire l’eau en bouteille. Jamais au robinet !Quels sont pour vous les avantages et les inconvénients du side-car ? Aviez-vous envisagé ce voyage en moto « deux-roues » ?
Non, je n’ai jamais envisagé ce voyage sans side-car. D’abord, parce que c’est plus confort, moins fatiguant, et plus sécurisant surtout sur certaines routes un peu difficiles et il y en a quelques unes…
A mon âge tomber même à faible vitesse n’est plus souhaitable ! D’autre part, le facteur sympathie du sidecar est incroyable et associé à notre âge, c’était magique !
Un conseil pour ceux qui voudraient tenter une aventure en side-car ? Ou à ceux qui hésitent à franchir le pas ?
Il est toujours difficile de donner des conseils car ce type de voyage est avant tout très personnel ! On y trouve ce qu’on va y chercher. Par contre, je suis convaincu qu’il ne faut pas envisager ce type de voyage comme si on le faisait avec un tour-opérator quel qu’il soit. Un voyage de ce type ça se prépare en détail (et c’est aussi ça le plaisir) notamment pour la partie intendance mécanique. Il faut aussi garder en tête le principe que l’on ne peut pas tout prévoir et que ce qui va nous arriver sera différent de ce qu’on l’on a prévu ! Et il faut savoir l’accepter pour en profiter pleinement ! Le temps ne doit pas être une contrainte mais une conséquence de ce que l’on fait !
Une dernière chose peut être : ne jamais surestimer ses capacités, ni sous-estimer les dangers, sinon au risque de le payer cher ! Il n’est jamais honteux de renoncer. Pour le reste la magie du voyage jouera ! Et elle joue ! La preuve : nous repartons au Sahara occidental en Mai prochain pour une balade d’un mois et demi, toujours en side-car Zéro.